À première vue, rien de bien amusant dans cet article, et pour cause : dans l’imaginaire commun, la cessation d’activité est souvent synonyme de moments sacrément douloureux, du genre situation inextricable, entreprise qui part à vau-l’eau et bottes enlisées dans le sable jusqu’au cou.
Certes, on ne peut pas dire que cette vision ne relève pas d’un fond de vérité ; néanmoins, permettez-nous un simple constat : la cessation d’activité n’est pas toujours synonyme de passage en enfer !
Ça peut être un choix personnel. Tout dépend des trajectoires de vie !
Un départ à la retraite, une opportunité à l’étranger, un changement de voie professionnelle… À dire vrai, les raisons pour cesser les activités de sa boîte sont aussi nombreuses que le nombre d’étoiles dans la Voie lactée (ou peu s’en faut).
Chez JeVide, débarras oblige, on s’est demandé comment les chefs d’entreprise géraient la question de leurs biens : que deviennent les stocks, les fournitures, le matériel qui dort dans les bureaux ?
On a donc voulu rencontrer des entrepreneurs qui ont choisi, ou qui ont été contraints, de cesser l’activité de leur entreprise face aux aléas de la vie, et qui se sont retrouvés face à la problématique du mobilier et autres biens indésirables à écouler. Après quelques démarchages, trois personnes ont accepté de nous répondre sur le sujet. Voici leurs histoires*.
* Toute ressemblance avec New-York : Unité Spéciale n’est absolument pas fortuite.
« J’ai tout planifié en amont pour partir l’esprit léger »
Jérôme* est webmaster et spécialiste en webmarketing. Après avoir exercé le métier de consultant pendant trois ans et demi, une très belle opportunité s’offre à lui – problème, c’est à l’étranger, à Hong-Kong précisément, donc pas la porte à côté !
« L’un de mes clients, une grosse boîte, était ravi de notre collaboration, et il m’a proposé un poste à plein temps. Pour être honnête, le job était super intéressant, avec pas mal d’avantages. J’ai pris le temps de réfléchir un peu, et j’ai accepté. »
Malgré l’urgence du poste, Jérôme joue cartes sur table et annonce qu’il ne pourra pas se libérer immédiatement :
« J’ai préféré être sincère et leur dire que tout plaquer comme ça du jour au lendemain, c’était pas possible, ne serait-ce qu’avec mon activité de consulting. Ils ont été très compréhensifs et m’ont laissé six mois pour tout boucler. »
Comme alors une période marathon menée tambour-battant pour prévenir ses clients, achever ses missions en cours, et s’occuper de l’arrêt complet de son activité :
« En plus de tout le reste, je louais des jolis bureaux, j’avais claqué pas mal de fric dans la déco et le mobilier, je voulais que ça fasse sérieux, l’idée c’était de trancher un peu avec l’image un peu négative qu’on a, le growth hacker qui vivote d’astuces ou de bouts de ficelle commerciales. »
Grâce au délai qu’on lui a accordé, Jérôme planifie son départ dans les moindres détails et dépose une annonce pour débarrasser son bureau :
« C’était quasiment donné, je voulais que ça parte très vite, les tableaux, les posters, les meubles, les miroirs. J’étais quand même inquiet à l’idée que certains trucs me restent dans les mains, mais une dame m’a répondu rapidement, et finalement elle est repartie avec tous les objets ! Apparemment elle montait sa boîte. J’me suis dit, c’est marrant, la roue tourne. »
« Cette période m’a marqué à vif »
Son BTS en poche, Sarah* s’installe à son compte comme graphiste print & web en 2010 dans la région bordelaise ; pour cette grande amatrice de bandes dessinées d’auteur, c’est le saut complet décoiffé dans l’inconnu :
« Je n’avais aucune expérience du monde de l’entreprise à part les deux stages que j’avais fait durant mon cursus. Ça ne m’a pas empêché de foncer à l’époque, j’étais un peu tête brûlée. »
Malgré quelques déboires et des débuts très compliqués, l’activité décolle doucement au fil des mois. Les missions s’enchaînent, son chiffre d’affaires progresse, elle parvient même à se dégager un petit salaire confortable :
« Je viens d’un milieu modeste, l’argent j’y fais très attention. Je ne gagnais pas énormément en comparaison de certains de mes camarades, mais j’avais l’impression de rouler sur l’or. »
Confiante dans le développement de sa boîte, Sarah engage un salarié pour affronter manches retroussées les commandes urgentes qui s’accumulent. Hélas, les demandes se tassent, et son entreprise se retrouve tout à coup en difficulté :
« Le marché avait changé depuis ma sortie de l’école. Il y avait de plus en plus de jeunes graphistes qui vendaient malheureusement leurs services pour trois fois rien, les prix se sont écroulés, et il faut dire que je n’étais pas une super bonne commerciale, j’avais quasiment tout misé sur le bouche-à-oreille. J’ai mis quelques mois avant de prendre conscience que je faisais naufrage. »
Pour Sarah, c’est la fin de l’histoire après quatre années et quelques d’aventure entrepreneuriale : elle suit les avis de ses proches et de son comptable et se met en cessation d’activités avant qu’il ne soit trop tard. Une période qui l’a marquée au fer rouge :
« J’avais l’impression que ma vie partait en miettes. Il a fallu que je l’annonce à ma salariée, qui ne l’a pas super bien pris. Je m’accrochais pour boucler les missions, j’ai prévenu les clients, la plupart étaient compréhensifs, d’autres m’ont déglinguée. Je rentrais tous les soirs en chialant. »
Restait en outre la question du bureau, loué en périphérie de Bordeaux, et qu’il fallait débarrasser intégralement de son mobilier :
« Sur le moment, j’avais d’autres préoccupations, je n’y ai pensé qu’au dernier moment. Je n’avais pas énormément d’affaires, mais ça me bousillait à la seule idée de jeter tout ça. Les papiers, l’administratif, c’est une chose, mais tout ça, c’était concret. »
Prise de court, elle rédige une annonce en urgence, mais tout n’est malheureusement pas parti :
« Il me restait encore des trucs sur les bras, les deux bureaux, les chaises, une armoire. Je n’ai pas eu le courage de m’en occuper, c’est mon père qui les bazardés. »
Un fleuve a depuis coulé sous les ponts : partie à l’étranger un long moment avant de revenir en France en 2018, elle s’est dégotée un job dans le graphisme auprès d’une grande boîte du coin :
« Je prends les choses avec philosophie maintenant. J’ai encore quelques regrets quant à cette période, je me dis que j’aurais pu mieux faire, autrement, mais bref, c’est comme ça. Je me dis que ça m’a forgé ! En tout cas, je me sens beaucoup plus sereine aujourd’hui. »
« Aucun regret d’avoir stoppé mon activité ! »
On vous l’a dit, la cessation d’activité, ce n’est pas toujours la traversée du désert pour un entrepreneur – la preuve avec Alain Boudet, ancien plombier-chauffagiste et fringant retraité retiré au fin fond du Périgord vert.
Après plusieurs dizaines d’années de labeur acharné, à vadrouiller à travers toute la Dordogne pour rafistoler tuyaux et chaudières, Alain s’est retrouvé confronté au fameux problème de la retraite et de la transmission de son entreprise :
« Au début, j’avais la ferme intention de trouver un repreneur. Les affaires marchaient bien, j’avais un afflux de clients constant, la réputation de l’entreprise était bien assise, je trouvais dommage qu’on reprenne pas la relève. »
Seul hic dans ce projet : personne, ou presque, ne manifeste d’intérêt pour prendre la suite !
« J’ai bien reçu deux gars, mais c’était pas sérieux ; d’un autre côté, je voyais le temps tourner, je me disais que j’allais pas y passer trois plombes, cette retraite, je l’ai bien méritée. J’ai préféré couler ma boîte plutôt que de la refourguer à des rigolos. »
Sans tergiverser plus longtemps, Alain cesse son activité, une décision d’autant plus aisée que ses deux salariés, qui ne se voyaient pas bombardés chef d’entreprise, étaient d’un commun accord partis trouver du travail ailleurs quelques mois auparavant.
Le premier nœud gordien réside dans la liquidation du stock – une tâche compliquée à laquelle Alain s’était mentalement préparée (s’il avait connu JeVide, peut-être que cela lui aurait facilité la vie !) :
« J’avais énormément de matos sur les bras, c’était normal – de l’outillage, des matériaux, tout un tas de raccords, alors j’ai commencé par contacter des copains collègues, voir si ça les intéressait de m’en racheter à des prix intéressants. Tout n’est pas parti du premier coup, alors j’ai enchaîné sur des annonces. À la fin j’en avais marre, j’ai foutu les derniers trucs au rabais. Un gars est venu de Bretagne m’emporter les derniers restes ! »
Et qu’en est-il de la liquidation de ses biens ? Après avoir écoulé son matériel, restait la question du local d’une centaine de mètres carrés :
« J’ai demandé à mes fils, à de la famille, à des copains de venir me filer un coup de main un weekend. Fallait tout emballer le reste, empaqueter, trier. Plutôt que de foutre en l’air le mobilier, on a déposé des annonces pour tout vendre. La plupart des trucs sont partis, le reste, expédié chez des associations. »
Deux ans plus tard, Alain revient sans difficulté sur cette période de transition dans sa vie :
« Je peux pas dire que sur le coup ça m’a rien fait de tout arrêter comme ça. J’ai retourné le truc un mois, et puis après on a fait quelques voyages avec ma femme. Sincèrement, depuis, j’ai zéro regret ! »
* Les prénoms ont été modifiés pour les personnes souhaitant rester anonymes.